EUROPE n° 1127 – mars 2023

Beppe Fenoglio, L’herbe brille au soleil et autres nouvelles. Introduction de Luca Bufano. Traduit de l’italien par Frédéric Sicamois (Cahiers de l’Hôtel de Galliffet, 18 €).

Grâce aux bons soins de Frédéric Sicamois et aux membres du comité éditorial des « Cahiers de l’Hôtel de Galliffet », les lecteurs français familiers de l’œuvre de Beppe Fenoglio vont découvrir et apprécier ce recueil de nouvelles inédites dans notre langue — à l’exception de deux d’entre elles, mais j’y reviendrai —, choisies et présentées par Luca Bufano, spécialiste émérite et attentif du prodigieux work in progress de l’écrivain d’Alba, dans le Piémont. Ces douze récits reprennent, en en modifiant les occurrences, les thèmes chers à Fenoglio. Les sept premiers sont consacrés à la guerre des partisans. Le lecteur y découvre Sceriffo, héros exemplaire de la lutte antifasciste, souvent mis à l’honneur par l’auteur (« L’échange des prisonniers », « La prison de Sceriffo », « L’herbe brille au soleil »). L’épisode du curé réactionnaire enveloppé de force dans le drapeau communiste, prend ici toute sa saveur amère (« L’heure de la grand-messe »). Une rude scène d’amour entre le partisan Milton et Paola, sa partenaire désabusée, constitue une parenthèse faussement apaisante (« Tu y as perdu quelque chose »). Faut-il renoncer à écrire sur la guerre ? s’interroge le narrateur qui a récupéré les carnets de Jerry, tué dans une embuscade (« War can’t be put into a book »). Les autres récits évoquent l’amour — le vrai, cette fois — de Beppe pour Fulvia, son amie des années de lycée (« La rencontre »), la vie ratée de Nick, alors que la guerre est finie depuis quinze ans (« Ciao, old lion »), et la mort annoncée, pressentie de l’écrivain au terme de son combat perdu contre le cancer (« La grande pluie »). L’ultime nouvelle est d’inspiration fantastique (« Une croisière aux antipodes ») ; Luca Bufano l’avait publiée en 2003, chez Einaudi.

J’aimerais à présent rappeler que le lecteur français a déjà eu le privilège de lire deux des récits de L’herbe brille au soleil : « Dans la vallée de San Benedetto » et « L’affaire de son âme » figurent dans l’ensemble traduit et présenté par Alain Sarrabayrouse, paru en 1987 aux éditions Gérard Lebovici.

Italo Calvino, qui a reconnu le premier le talent de Fenoglio, écrivain totalement investi dans son métier mais plongé dans une profonde solitude malgré sa légendaire sociabilité, invitait jadis le lecteur, sans avoir eu connaissance de ce beau recueil, à méditer sur l’esprit de résistance, les mécanismes de la mémoire obsessionnelle, le mystère des origines et le fond désespéré de toute quête qui font qu’un homme est grand « quand il est à sa dimension normale ».

Quelques remarques enfin sur la traduction, excellente, de Frédéric Sicamois. Ce « passeur » scrupuleux revendique, fort modestement, l’héritage de Gilles de Van, le magistral traducteur du Partigiano Johnny[1], adepte de la « mise en perspective historique » des événements et des scènes et respectueux du multilinguisme représentatif du style de Fenoglio. Nul doute que le lecteur retrouve dans L’herbe brille au soleil le « tranchant » de l’écriture fenoglienne. J’y ajouterai le punch et un certain parti pris de modernisme de très bon aloi.

Jean-Louis JACQUIER-ROUX

[1] Paru chez Gallimard sous le titre La Guerre sur les collines. Voir aussi le cahier consacré à Beppe Fenoglio dans Europe, n° 1117, mai 2022.